Sassou attend les congolais au tournant

Publié le par O'vatouoli-ngouene mva

Comme je l'ai déjà dit dans un précédent article intitulé « Une nouvelle Constitution pour Sassou-Nguesso avant 2016, un secret de polichinelle », Laurent Tengo a été chargé de mener la réflexion sur la modification de la Constitution.

Si à l'époque où j'avais rédigé cet article cela n'était pas encore officiel, il est désormais certain que Sassou fera modifier sa Constitution actuelle par son futur nouveau Parlement qu'il nommera lors du futur simulacre d'élection législative en 2012 (comme en 2007, les députés seront soigneusement choisis par lui-même en 2012). Il l'a lui-même annoncé dans son fameux message du 13 août dernier devant son parlement réuni en congrès. Cela a été dit dans des termes à peine voilés, je cite : « notre démocratie est encore jeune, très jeune. Elle a besoin d'être régulièrement améliorée pour s'affermir et se consolider. Sans en modifier le fond, nous devons, chaque jour, rechercher la forme la plus efficiente, la plus pragmatique, celle qui convient le mieux à notre pays ».

Et comme je l'ai déjà dit, cette future nouvelle Constitution lui permettra de lever les obstacles de sa Constitution actuelle (sa Constitution taillée sur mesure de 2002) qui l'empêche de briguer un autre mandat de sept ans en 2016. Ce nième tour de passe-passe vise surtout à modifier le mode du scrutin de l'élection présidentielle. Il s'agit très concrètement de lever la barrière de la limite d'âge fixée à 70 ans, de lever l'obstacle de la limitation du nombre de mandats (fixé à deux mandants), et surtout de faire en sorte que le Président de la République soit désormais élu non plus au suffrage universel direct comme c'est le cas aujourd'hui, c'est-à-dire par tous les citoyens congolais en âge et en capacité de voter, mais au suffrage indirect, c'est-à-dire un corps électoral qui sera constitué de députés désignera un collège restreint d'élus appelés les grands électeurs et qui éliront à leur tour le Président de la République.

Mais que cache tout ce petit manège ? Que veut dire très concrètement Sassou lorsqu'il déclare dans son fameux message du 13 août : « […] Sans en modifier le fond, nous devons, chaque jour, rechercher la forme la plus efficiente, la plus pragmatique, celle qui convient le mieux à notre pays » ?

Chacun l'a bien compris, cette décision de passer du scrutin présidentiel au suffrage universel direct au scrutin au suffrage indirect montre indiscutablement sa volonté de contourner le refus quasi-systématique du peuple congolais de cautionner ses mascarades électorales à répétition depuis 2002, refus qui se caractérise par de forts taux d'abstention (plus de 95% d'abstention à la dernière élection présidentielle du 12 juillet 2009). L'une des raisons de ce changement du mode du scrutin présidentiel est donc incontestablement la hantise d'être toujours mal élu, qui pousse aujourd'hui Sassou à choisir la voie du vote par le parlement dont les membres sont nommés par lui-même (un parlement corrompu et aux ordres).

Mais l'autre raison, encore plus subtile et plus machiavélique, et de mon point de vue la raison fondamentale qui a motivé ce choix du scrutin présidentiel au suffrage indirect, c'est la volonté de contournement de l'épineux problème du déséquilibre démographique entre le Nord et le Sud. C'est la substance même de son fameux message du 13 août devant son parlement réuni en congrès. En effet, la population congolaise est inégalement répartie sur le territoire national avec 82,10% dans le Sud contre seulement 19,90% dans la partie Nord ; ce qui pose un réel problème sur le plan électoral quand on sait que le vote est essentiellement structuré par un clivage ethnique (au Congo, comme dans la plupart des pays africains, le vote se caractérise par des intérêts ethniques et claniques, chacun vote pour le candidat de son ethnie ou de sa région, un point c'est tout ; ce qui est, il faut le reconnaître, totalement anti-démocratique).

Le fond de la pensée de Sassou, lorsqu'il dit, en parlant de la démocratie congolaise : « […] Sans en modifier le fond, nous devons, chaque jour, rechercher la forme la plus efficiente, la plus pragmatique, celle qui convient le mieux à notre pays », se trouve donc sa volonté de contourner l'épineux problème du déséquilibre démographique entre le Nord et le Sud. Il ne le dit pas clairement, mais c'est bien de cela qu'il s'agit dans son message.

Pour notre part, nous considérons que, même s'il est vrai que le vote ethnique est un vote anti-démocratique, le choix du Président de la République par le peuple souverain, par une élection libre et transparente doit demeurer la règle dans notre pays. Cela lui confère une vraie légitimité. Le principal problème de notre pays, ce ne sont certainement pas les clivages ethniques ou sa division en un Nord et un Sud antagonistes, qui sont des données artificiellement créées et entretenues par les responsables politiques, mais plutôt l'absence d'une véritable Nation.

C'est cette question cruciale de la construction de Nation congolaise qui est la clé de tout. Or, depuis 1968, après la chute du Président Massamba-Débat, pour des raisons purement machiavéliques, les pouvoirs successifs n'ont jamais voulu construire une Nation. Depuis cette date, les différents pouvoirs qui se sont succédés ont toujours choisi de manipuler les populations en les instrumentalisant et en jouant sur les peurs. Cette division du pays en un Nord et un Sud antagonistes est donc une volonté délibérée des pouvoirs successifs depuis 1968. Le pays est comme coupé en deux, de sorte que les Congolais du Nord et ceux du Sud ne se fréquentent pas, ne se connaissent pas et se craignent mutuellement.

L'absence volontaire des voies de communications quadrillant tout le pays et reliant le Nord, le Sud, l'Est et l'Ouest, ne permet pas de développer les échanges économiques qui auraient pu faciliter les déplacements des populations sur l'ensemble de l'étendue du territoire national ; cela qui aurait permis aux Congolais du Nord au Sud, de l'Est à L'Ouest, de mieux se connaître et donc de s'apprécier mutuellement. Cette absence de facilitation des échanges entre les populations rentre dans cette stratégie politique de la division du pays en deux blocs antagonistes ; une volonté délibérée de ne pas construire une Nation.

Si cette division artificielle du pays en deux blocs antagonistes pouvait encore arranger les affaires de certains responsables politiques sous le monopartisme (la stratégie de « diviser pour mieux régner »), aujourd'hui avec l'avènement de la démocratie, qui fait appel au suffrage du peuple, de tout le peuple, au-delà des ethnies et des régions, cela est devenu un gros handicap pour notre jeune démocratie. Et lorsque dans son fameux message du 13 août devant son parlement réuni en congrès, Sassou dit : « nous devons définitivement mettre un terme aux replis identitaires et aux réflexes ethnocentriques désuets pour renforcer l'unité de notre peuple et consolider la Nation  », c'est bien à cela qu'il fait allusion. Sauf qu'il a oublié de dire qu'il est lui-même en grande partie à l'origine de cette situation. Lui le prince machiavélien qui a toujours cultivé cette division artificielle du pays en opposant les Congolais du Nord à ceux du Sud, se trouve donc aujourd'hui coincé dans son propre piège.

Le problème avec Sassou c'est qu'il a toujours pris les autres Congolais pour des imbéciles. Il a toujours fait le dos rond quand il est en difficulté et dès qu'il obtient ce qu'il veut, il devient intraitable. C'est ainsi qu'il a réussi à rouler une grande partie des hommes politiques de sa génération dans la farine. Après avoir surfer sur les divisions ethniques et régionales depuis plus d'un quart de siècle, aujourd'hui il est le premier à dire que « nous devons définitivement mettre un terme aux replis identitaires et aux réflexes ethnocentriques désuets pour renforcer l'unité de notre peuple et consolider la Nation  », mais est-il prêt à lier ses actes à sa parole en montrant lui-même l'exemple, par exemple en permettant l'expression de la démocratie chez à Oyo, où il y a toujours eu un candidat unique (François Ibovi) à chaque élection législative ; ou en ne nommant pas que ses enfants, ses neveux et des Mbochi à tous les postes clef du pays ?

Je rappelle qu'en cinquante-ans, le Congo a usé de quatorze modifications constitutionnelles. Sassou en vingt-six de pouvoir sans partage en a usé de sept, c'est-à-dire la moitié.  

Bienvenu MABILEMONO

SG du Mouvement pour l'Unité et le Développement du Congo – M.U.D.C.

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